Interview 1 de Fabrice Servier (7 juin 2008)
- Lana
- 27 mars 2020
- 5 min de lecture
Le matin de sa prestation à la soirée Saturday night Fever qui se tenait à Saint-Martin le 7 juin 2008, Fabrice Servier se porte volontaire pour répondre à quelques questions portant sur Mouvance et lui-même ainsi qu'à un petit questionnaire sur les couleurs.
-Mouvance : un groupe, un concept qui te correspond parfaitement ?
C’est un groupe d’amis de quartier, de collège, d’école primaire. C’est aussi un concept visant à faire une musique caribéenne mixte (avec du traditionnel : biguine, mazurka… et d’autres genres : reggae, dance hall, gwo ka, socca…) pour faire quelque chose de gai. Les textes sont en créole et français. C’est une sorte de tourbillon tropical ; en même temps dansant et philosophique si l’on peut dire.
-Est-ce que le public l’a perçu ainsi selon toi ?
Oui Mouvance est perçu dans un créneau zouk certes mais pas uniquement car le public perçoit également la réflexion derrière les textes comme pur une chanson contenant un message direct comme « Fanm kréyol » ou « Frè mwen » (dans laquelle je m’adresse à ma mère, mon frère). On use du zouk love car j’estime que nous les antillais, après les italiens, si on n’est pas les premiers, on est les rois de l’amour. On est des charmeurs ; je dirais même mieux on est des love symbol. Mais il n’y a pas que ça ; il y a quand même un peu plus de fond dans Mouvance. Il y a aussi le côté où on parle de la vie, du racisme, des relations entre humains, des gamins qui font des enfants…
-Les textes qui relèvent d’une écriture personnelle correspondent à un besoin de publier une relation particulière que tu entretiens avec tes proches ?
Certains écrivains produisent des récits en fonction de leur humeur du moment (période gaie, période triste…) ; puis ils évoluent, mûrissent. Quand ils sont jeunes ils possèdent une certaines fraîcheur avec un côté incisif dans le texte ; et plus tard, ils atteignent plus de maturité, au niveau du vocabulaire je parle. C’est identique pour les auteurs de chansons. En rapport avec ce que l’on vit on a envie de parler aux gens ; c’est le vivier qui apporte de l’eau à notre moulin. C’est ce qu’on vit ; et on vit des choses plus fortes avec les gens qu’on aime, heureusement.
-Te connaît-on, selon toi, d’abord comme une voix ou comme une façon d’écrire, des thèmes particuliers ?
Mouvance, c’est plusieurs empreintes :
- une empreinte vocale (j’ai pris des cours à Miami avec un professeur de chant qui a été aussi mon prof de philosophie qui m’a, d’ailleurs, expliqué que dans la vie les gens étaient tous différents (les visions, les perceptions ne sont pas les mêmes au même moment) - une empreinte textuelle, un style d’écriture -une empreinte visuelle - une empreinte musicale
Mouvance c’est une combinaison de tout cela (Hervé Celcal au piano, à la programmation, aux arrangements) et moi, Fabrice Servier, aux textes, à la voix. Pour ce qui est des thèmes, on évite de parler de politique mais on parle du social (les gens de la ville qui dénigrent ceux de la campagne et inversement, le fonctionnement de l’Antillais dans les îles, etc). C’est un regard critique –sans chercher à donner de leçons- sur ma société, car j’en suis issu, j’y vis. C’est à nous de faire notre auto-critique. Et bien sûr, le thème évolue en fonction de la période, des lieux, des états d’esprit…Ainsi, par exemple, quand on revient au pays, on a toujours envie de travailler sur le côté festif qui nous est propre. Nous sommes un peuple qui danse pour la joie, mais aussi pour libérer des douleurs, des tristesses ; extérioriser ce qui est en nous.
-Le public a une certaine image de toi : Élégant, romantique, tendre, discret, n’est-ce qu’une image ou est-ce la réalité ?
C’est la réalité : je suis relativement discret ; bien que j’arrive à créer un rapport avec les gens. Je suis très ouvert. J’ai choisi d’être porte-parole de Mouvance qui véhicule une image de sérieux, de droiture, de respect ; j’assume ce rôle. Avec les gens je vais parler de tout et de rien, sans vraiment pénétrer leur intimité ou leur laisser pénétrer la mienne.
-Te prépares-tu psychologiquement à tes rencontres (avec le public, les médias…) ?
Non, sinon je ne serai pas naturel. Cela court-circuitera ce qui est vrai. Il y a des artistes qui le font (le « bling bling ») mais moi je me montre tel que je suis : sans fard au propre comme au figuré. J’essaie d’être le plus proche possible des gens, de les représenter au mieux.
-Joues-tu d’un instrument ?
Je joue de la guitare depuis longtemps (j’avais plus de 20 ans). J’ai commencé par la batterie, les percussions ; j’ai fait un peu de piano et du chant. Le chant, j’en fais beaucoup plus qu’avant car les gens veulent que je chante plus longtemps ; et aussi parce que nous avons de plus en plus d’albums.
-Est-ce qu’il a été difficile de mettre sur le marché le dernier album « Mwen ni’w an lapo mwen » ?
Il a été long à la préparation. Je l’ai voulu réfléchi. J’écris deux voire 3 textes en moyenne par jour que je fignole sur l’année (corrections, documentation…). La recherche de la complication au niveau de la préparation est dans la recherche de la simplicité. On va faire compliqué pour refaire simple ensuite. Il y aura également le côté rêve, le côté délire-fantasme (« j’aimerais bien faire ça ») pour revenir ensuite à la dure réalité (loin de l’idéal). Puis viendra le tri.
-Une chanson, en règle générale pour toi, commence par des mots ou une mélodie ?
Tout dépend. Hervé et moi sommes complémentaires, avec les mêmes méthodes (on a fait les mêmes études…) : il fait une mélodie, j’écris le texte sur mesure car je le connais bien, je sais ce qu’il attend exactement. Cela demande du travail et du temps et fait que c’est un peu ingrat comme boulot, car pour le public cela revient souvent simplement à : « j’aime », « je n’aime pas ».
-C’est parce qu’ils n’ont pas accès à toute cette préparation.
Tout à fait et en même temps la magie serait rompue. La musique c’est de l’art, donc le côté magique doit être préservé ; il faut préserver le mystère. J’espère que les gens se rendent compte que le travail est conséquent (pour 15 titres, il y a un an de travail minimum, sans compter l’enregistrement, le mixage…). Le travail exposé est un travail dont je suis fier.
- Le clip « Plus haut » : tu as pris du plaisir à en être ?
Oui. Le lieu, la partenaire (une amie chanteuse, belle et élégante -Lady Sugar-dont je produisais l’album à cette époque). On s’est amusé.
-Les concerts : souvent (en France) ou plutôt occasionnel ?
Une fois par mois au moins on a quelques petits live et de grosses scènes une fois tous les six mois.
Myspace, hi5…. : en existe-t-il pour Mouvance et/ou Fabrice Servier ?
Moi c’est contact direct. La communication c’est un métier, la musique c’en est un autre. J’estime qu’on ne peut tout faire en même temps. Je laisse mon manager s’occuper de ce type de choses. Je me sers très peu de l’informatique.
-Te sens-tu concerné par les grands problèmes de société
Oui tout à fait. Les enfants-parents sont un sujet dont on traite (j’ai vu cela en Guadeloupe, à la Réunion, en Guyane, en Martinique, en Afrique ! C’était trop !). Etre parent est une vie d’engagement, le grand amour ne dure pas. Il faut exposer les faits pour signaler quelque chose d’anormal. On va tendre vers une guerre de la faim, de révolte à cause de l’augmentation des prix des denrées de base, donc des produits de survies pour les plus pauvres. Le monde deviendra instable. Les plus démunis seront en danger et leur instinct de survie soumis à rude épreuve. Moi, j’ai envie de laisser un patrimoine aussi intact que je l’ai trouvé. Je ne peux rester insensible au réchauffement de la planète et autres grands fléaux.
Merci à Fabrice Servier (et C.Jeffers)
Lana, Saint-Martin, 7 juin 2008
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