Interview de Vallès Latry (site web "Nasyon Soley"), juillet-août 2007
- Lana
- 27 mars 2020
- 10 min de lecture
Il y a quelques mois, au hasard de mes recherches sur le net, je suis tombée sur ce blog : nationsoleil.blogspirit.com dont le slogan est : « Un regard neuf sur l’art haïtien ». J’y suis retournée en maintes occasions et, il y a quelques semaines de cela, j’ai proposé à son auteur de relayer ses articles sur Antillescompas.com Dans le cadre de ce nouvel acte, j’ai tenu à vous présenter VALLES LATRY cet « amant de la culture » disposant de « goûts sélectifs », comme il se définit lui-même sur sa page d’accueil.
A – LE BLOG
1 - De quand date ce blog ? Pourquoi un blog (et pas un site ou un forum par exemple) ?
Ma première note date de mars 2006. Le blog, c’était en fait un ballon d’essai. Je n’avais aucune idée de ce que ça allait donner. Je suis resté fidèle à ce format à cause de sa simplicité – les codes sont préréglés, le temps me fait défaut - et à la liberté que cela me donne pour passer mon message. Le site viendra peut-être un jour avec un forum et tout le reste, mais pour le moment, un blog, c’est ce qui me convient le mieux.
2- Qu’est-ce qui t’a motivé à écrire sur la culture haïtienne ? Le nom Nation Soleil fait-il référence à quelque chose de précis ?
Mon intérêt pour la culture en général et la culture haïtienne en particulier remonte à très longtemps. J’ai été formé à travers toutes sortes d’associations culturelles et littéraires qui m’ont inculqué cet amour de la culture et le goût de l’écriture. Mon entourage et mes études ont fait le reste. De ce fait, je n’ai pas choisi d’écrire sur la culture, c’est venu naturellement. En fait, j’éprouve une réelle fascination pour le monde culturel et mon rêve serait de voir que dans le milieu culturel haïtien, les informations soient aussi disponibles et accessibles qu’elles le sont dans le showbiz mondial, en particulier sur le Net. Aussi, ma contribution à travers ce blog vise surtout à créer du contenu francophone sur les réalités culturelles de chez nous, mais aussi commenter le contenu qui existe déjà, approfondir, analyser, diffuser afin que l’intégrité et l’authenticité du culturel haïtien soient préservées dans le contexte de la globalisation des cultures. Nation Soleil, c’est d’abord un clin d’œil à Haïti et au combat de son peuple et aussi à Emeline Michel et à sa chanson du même titre ("nasyon solèy" en créole) qui a si bien décrit ce que nous sommes devenus et ce que nous sommes tenus d’accomplir comme mission.
3 - De quelles disciplines artistiques traites-tu ?
Musique et cinéma surtout. Puis un peu de littérature et de société incluant les technologies de l’information.
4 - Comment procèdes-tu au choix des sujets sur lesquels tu vas écrire ? (tu suis la tendance ? des coups de gueule ? des coups de cœur ? …..)
J’écris sur l’actualité, mais pas sur toute l’actualité. Beaucoup d’autres sites ou médias le font déjà. J’essaie de mettre l’accent sur ce qui est particulier, ce qui sort de l’ordinaire comme l’émergence d’une nouvelle tendance musicale, le jazz créole par exemple, l’évolution du cinéma haïtien me préoccupe aussi énormément…Mais en général, c’est en effet des coups de cœur, des coups de gueule… Il y a beaucoup de choses qui me fâchent par exemple dans la façon de faire de la musique actuellement, dans la façon de promouvoir la musique et le cinéma et la culture haïtienne en somme. Mais, j’essaie d’y aller par thème, par dossier en faisant beaucoup de digressions car je crois que les gens sont peu et mal informés. Ma préoccupation première dans le choix de mes sujets, c’est de donner l’information la plus complète que possible sur des thèmes ou des aspects souvent négligés mais que j’estime importants.
5 - Quels sont les retours de tes lecteurs ? des artistes ?
Généralement positifs, les gens aiment ma franchise même s’ils ne sont pas toujours de mon avis. Certains aiment ma liberté tout en jugeant que je suis parfois trop exigeant. Certains enfin ne comprennent pas tout simplement, mais ça fait partie de l’ordre des choses.
6 - Quelles ont été tes 3 derniers sujets ? Pourquoi ceux là ?
Mes trois dernières notes personnelles – il m’arrive d’en reproduire aussi – sont deux revues d’albums – Alan Cavé et Tifane et une note intitulée "Konpa, tel père tel fils" qui traite de la relève. Pourquoi ceux-là ? J’aurais pu faire la revue de tous les cds qui sortent, mais le blog ne se résumerait qu’à ça. Je préfère relever les grandes tendances et les albums plus originaux. J’ai choisi Alan parce que c’est une force dans la musique populaire et également un de mes artistes préférés. Je suis sa carrière depuis ses débuts et j’entends continuer à le faire. Tifane est une artiste émergente qui a de l’aura. Sa carrière m’intéresse énormément car elle représente un genre moribond en Haïti, la chanson haïtienne. Elle est avec Bélo, en train de ressusciter un genre avec lequel les producteurs haïtiens devront compter s’ils désirent conduire la musique haïtienne sous de nouveaux cieux, reconquérir des marchés perdus et en conquérir de nouveaux. "Konpa, tel père, tel fils "est un article qui compare deux générations. D’un côté, un certain nombre de musiciens (pères, mères) qui, à travers diverses phases de la musique haïtienne et en empruntant différents styles, a chacun à sa façon, marqué de façon indélébile la musique. D’un autre côté, les enfants de ceux-ci qui tentent de marcher dans les pas de leurs parents avec des résultats différents selon le cas. C’est un article à lire absolument qui est encore ouvert aux commentaires.
7 - Y a-t-il des soirées, des événements auxquel(le)s tu n’assistes pas volontairement ? Lesquel(le)s et pourquoi ?
Certainement, il m’est impossible d’assister par exemple à tous les bals qui se passent à Montréal ou de les commenter. Il y en a tellement et d’une soirée à l’autre, il n’y a pas tellement de différence. En fait, je n’assiste pas à plus de la moitié des soirées puisque généralement, ce sont des affiches « ordinaires ». J’y vais généralement lorsqu’il y a un fait intéressant qui se passe dans un groupe : un nouvel album, un nouveau musicien. Par exemple, j’irai certainement à la première de Dola à Montréal lorsque ce sera programmé. Mes choix sont ainsi faits. En revanche, les festivals présentent un autre intérêt pour moi car c’est là qu’on peut réellement voir les talents, la créativité et ils présentent tous plus ou moins un cachet différent. Et je crois aussi que c’est une manière plus efficace de vendre la musique haïtienne aux non-Haïtiens. J’essaie surtout de ne pas rater les événements où un artiste solo haïtien ou antillais performe parce que c’est plus rare et aussi différent d’un événement à l’autre.
8 - A celles où tu te rends, comment joues-tu au reporter ? (papier/crayon ? dictaphone ?....)
Je ne le fais pas systématiquement, ça dépend de l’intérêt que présente pour moi l’artiste ou le groupe. Des fois aussi, j’assiste à un événement mais ne ressent pas le besoin d’en parler parce qu’il n’y a rien à dire de plus – en bien ou en mal. Mais en général, je suis plutôt papier/crayon.
B – EN GENERAL
1 - Quelle(s) rencontre(s) t’a (ont) particulièrement séduite(s) ? déçue (s) ?
Emeline Michel, Fabienne Colas. Je ne les ai pas rencontrées en entrevue, mais le contact que j’ai eu avec elles a été particulièrement inspirant. J’aimerais un jour les interviewer pour de vrai. Je n’aurai pas tellement le choix vu l’ampleur que prend désormais le blog. Des rencontres qui m’ont déçues ? Non, rien pour l’instant. Il faut dire que je suis plutôt un novice dans le domaine et je me considère plutôt comme un amateur, un amant de la musique et pas du tout comme un pro. Mais, j’ai une idée de ceux qui à la rigueur, pourrait me décevoir.
2 - Quelle(s) rencontres souhaiterais-tu faire ?
Oh la la. La liste serait bien trop longue. Il y a tant de personnages du showbiz qui me fascinent ou auxquels je voudrais juste pouvoir demander : pourquoi avez-vous fait tels choix alors que vous aviez tant de potentiel ? Mais, en somme dans la prochaine année, j’aimerais rencontrer mon idole Emeline Michel, les représentants de la nouvelle mouvance du jazz créole, les ténors du konpa tels Fanfan Ti Bòt, Dadou Pasquet, Mario De Volcy ou quelques talents confirmés comme Fabrice Rouzier, Makarios, Yves Abel, Alan Cavé ou encore quelques jeunes loups de la nouvelle génération : Armstrong Jeune, Richard Rouzeau, Richard Cavé… La liste est vraiment trop longue.
3 - Tes derniers coups de cœur en matière de :
Musique : Surtout de la mouvance Jazz créole comme Buyu Ambroise, l’album "Marassa" - Mushy Widmaier, l’album "My world" - Réginald Policard, l’abum "Détour" – Turgot Théodat, l’album "Badji".
En konpa, les pièces "Tou Kareman" d’Alan, "Ti Mafi" de Krezi ou "A lanvè" de Gracia/Richie
En chanson haïtienne, plusieurs pièces de l’album "Anprent" de Tifane dont Mironda, Se kòm si.
livre Une réédition (2006) d’un roman de Dany Laferrière publié en 1996 « Pays sans chapeau ». Une histoire toute simple, énoncée sur un ton léger mais tellement proche de la réalité quotidienne haïtienne. J’ai également découvert récemment un livre de Gary Victor intitulée la piste des sortilèges qui raconte l’histoire des « passeurs », ceux qui conduisent les morts vers leurs maîtres qui les transformeront plus tard en zombie. Un roman bien ficelé qui tient en haleine du début à la fin et ferait un excellent sujet de film. Pour le reste, je lis surtout des romans policiers et d’espionnage d’auteurs étrangers tels Grisham, Connelly, De Villiers, etc. spectacle Il n’y en a pas eu récemment, le dernier date de l’été 2005, un spectacle qu’Emeline Michel avait donné au Festival de jazz de Montréal.
peinture
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4 -Quel regard portes-tu sur les interprètes féminines de musique haïtienne : celles qui émergent ou ont émergé récemment (Mei Mei d’Hangout, Sandra de Zin….), celles qui sont des piliers (Emeline Michel, Georgie..)?
C’est à la fois extraordinaire et préoccupant ce qui se passe. Jamais, le konpa n’a connu autant de figures féminines en même temps. Les femmes ont toujours joué un rôle secondaire dans ce genre, contrairement au zouk. On a connu très peu de lead singer konpa et encore moins de musiciennes. C’est en train de changer. Depuis Riske en passant par Manmzèl pour arriver à D’sire, on sent ce désir de se prendre en main de la part des femmes. Mais le problème de production spécifiquement féminine persiste. Combien de celles qui se sont faites un nom :Zshea, Patricia Juste, Sabrina Kolb Jansen, Sharon Button, Sheena Rock, Misty, Georgy, Adeline Thélusma… ont pu voir produites leurs propres œuvres ? Très très peu. Mais au-delà de cela se pose aussi la question du talent. Combien d’entre elles ont été engagées pour leur talent ou leur sex-appeal. Dans la décennie passée, la génération des Papash, Phantoms, Zin, Zenglen (original) a surtout mis le talent de l’avant. Aujourd’hui, les femmes sont plus souvent utilisées comme objet de promotion dans le konpa et c’est dommage. Pour preuve le talent d’une Georgy n’a rien à voir avec celui d’une Mei Mei ou d’une Nia. Je crois qu’à l’instar de Patricia Juste, de Misty Jean ou de Zshea, bien que disparue de la circulation, les femmes devraient se produire ou se faire produire elles-mêmes. Elles devraient par ailleurs tenter une carrière à la Emeline Michel plutôt que de faire exclusivement du konpa car bien qu’elles doivent se battre pour que les choses changent, elles doivent également composer avec la réalité actuelle qui veut que la plupart des rares producteurs qu’il nous reste soient encore adeptes de l’ancienne école de promotion de la musique. Et puis, sont-elles vraiment armées pour mener ce combat ? La plupart n’ont pas de talent réel ou ne travaillent pas assez, celles qui l’ont possèdent très peu de connaissances musicales. En somme, c’est beaucoup d’agitation pour peu de résultats et je crois que la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui est appelée à durer. A moins qu’elles ne soient prises en main par des producteurs dans le genre de Fabrice Rouzier qui produit Tifane ou de Ralph Boncy qui a produit dans le temps Emeline Michel ou Zshea.
C - PLUS PRES
1 – Doit-on dire de toi que tu es « musicovore », « webovore », « bouquinovore »… ?
Musicovore et dans une certaine mesure bouquinovore
2 - A quoi es-tu réticent en matière d’art ?
Je connais peu la peinture, c’est pourquoi j’en parle peu ou pas du tout sur mon blog. Pour le reste, j’écris avec une grande liberté, généralement sans vraiment prendre de gants. Je choisis mes thèmes en fonction de ce critère car je veux pouvoir dire ce que je veux en étant certain de ce que j’avance.
3 - As-tu fait des études artistiques, es-tu musicien ou artiste ?
Ni l’un ni l’autre.
4 – Loin d’Haïti (Vallès est au Canada), comment vois-tu Haïti ?
Un beau gâchis. Il y a tellement de choses à aimer, à découvrir. Mais nous perdons notre temps dans des chicanes sans importance. Nous avons perdu notre simplicité, notre sens communautaire et même notre sens de la vie. Et lorsque j’y repense, j’avoue que je reste sceptique quant à notre avenir en tant que peuple.
5 - Loin d’Haïti, comment vis-tu en tant qu’haïtien au Canada ?
Comme dans un pays étranger. On essaie de s’adapter et de s’intégrer. Ce sont des combats constants. Mais, le reste du temps, le combat qui nous tient surtout occupé, c’est celui de l’image d’Haïti. C’est un combat ingrat car dépendant de tant de facteurs qui nous échappent et chaque petite note négative nous force à recommencer et à redoubler d’ardeur. Mais le Canada est aussi une terre de vastes possibilités et est en train de changer avec la forte immigration professionnelle de cette dernière décennie. C’est un motif d’encouragement pour les communautés haïtiennes et les autres qui prennent peu à peu leur place dans les institutions canadiennes. Et il est certain que la génération de mon fils saura mieux tirer son épingle du jeu que la mienne qui a dû se reconvertir en arrivant ici après avoir débuté une carrière professionnelle dans notre pays d’origine.
6 – Tu pars bientôt pour Haïti. Dans quel état d’esprit es-tu ? Qu’attends-tu de ce retour aux sources ? Que crains-tu ?
J’y reviens. J’étais tout excité en partant avec à cœur de vivre de fortes sensations. J’ai été servi. Le temps – 2 semaines – était trop court, après 4 ans d’absence, pour réaliser le copieux programme que je m’étais imaginé. Mais, j’ai pu jouir de mes vacances convenablement. En revanche, je suis revenu avec dans la tête plein de questionnements car socialement et économiquement, la situation est encore très préoccupante. Mais, au bout de deux jours, les craintes pour ma sécurité et celle de ma famille se sont dissipées. J’ai pu m’investir dans des activités communautaires dans ma ville natale dans ma première semaine et ça m’a conforté dans l’idée qu’il reste encore une action à tenter. Par ailleurs, la vie nocturne a repris, c’est bon signe. J’espère que ça va durer pour le plus grand bien d’un peuple qui en a assez de souffrir.
Merci Vallès et à bientôt sur le site !
Car, désormais, sur AntillesCompas, il y aura un espace titré : « La note de Vallès – Un regard neuf sur l’art haïtien» dans lequel vous trouverez une amorce de ses notes, avec la possibilité de lire la suite sur son blog et d’y faire vos commentaires.
Lana, juillet-août 2007
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